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Le berceau vide - Texte intuitif

  • Photo du rédacteur: emievarentz
    emievarentz
  • 9 mai
  • 3 min de lecture


le berceau vide


Le berceau vide


J’hésite un instant devant la porte close, tel le mur que tu as érigé entre nous. Mon souffle court et mes mains tremblantes. Dans mes bras, le bébé s’agite doucement, étouffant un petit gémissement. Je le serre contre moi une dernière fois, mon front appuyé sur son crâne chaud, respirant son odeur familière, mélange d’innocence et de tempêtes passées.

 

Il est beau, ce bébé, imparfait. Fragile, mais solide à sa manière. Il porte un peu de nous deux dans ses traits, un mélange délicat d’ombres et de lumières. Son regard, profond et incertain, reflète mes élans passionnés autant que tes silences fuyants. Sa bouche esquisse parfois un sourire doux-amer, un écho de nos instants de tendresse volés, de nos éclats de rire étouffés par la crainte de trop y croire.

 

Il n’a pas vraiment de nom. Tu n’as jamais voulu lui en donner un. Après tout, qu’est-ce qu’un nom si ce n’est qu’une étiquette ? Dans certaines cultures, on n’ose pas nommer un enfant avant trois ans, par peur de s’attacher trop vite. La vie d’un bébé peut s’éteindre aussi vite que de souffler sur une flamme. Peut-être est-ce pour ça que tu as toujours refusé de le nommer, comme si le priver d’un nom pouvait lui enlever son poids, sa réalité. Comme si, en ne le reconnaissant pas pleinement, tu pouvais toujours prétendre qu’il n’existait pas vraiment.

 

Il porte sur sa peau la douceur de nos débuts, l’éclat des promesses murmurées à voix basse, la tendresse des nuits où nous avons veillé ensemble, bercés par nos rires et nos rêves. Je revois nos promenades, nos voyages, nos éclats de voix aussi, nos disputes qui laissaient derrière elles une ombre qui peinait à s’effacer. Je me rappelle nos silences, ceux qui pesaient trop lourd, les incompréhensions, les attentes jamais comblées.

 

Ses petits doigts accrochent ma manche comme s’il savait, comme s’il sentait que je m’apprête à partir. Je ferme les yeux, lutte contre l’envie irrépressible de le serrer plus fort, de le bercer encore un peu, de lui chuchoter que tout ira bien. Mais je sais que ce serait un mensonge. Ce bébé n’a plus de place dans mes bras. Ces derniers sont las, fatigués de le porter seule. Le poids de son existence devient trop lourd. Il a grandi trop bancal, trop tiraillé entre l’amour et l’absence, entre le chaud et le froid. Il ne sait plus comment respirer sans suffoquer par cette ambivalence constante.

 

Alors, avec une lenteur infinie, je le dépose sur le seuil. Il s’agite, gémit, tend les mains vers moi dans un dernier appel. Mon cœur explose, se fend en mille éclats silencieux. Je voudrais lui dire que je l’aime, que ce n’est pas de sa faute, que j’aurais tant voulu le sauver. J’ai déjà fait tout ce que je pouvais, tout tenter pour y parvenir. J’ai façonné un berceau à notre image, le maternant avec tendresse quitte à m’oublier. Mais il n’est pas parfait, nourrit avec tous nos traumatismes.

 

Je frappe doucement à la porte, puis recule, le regard fixé sur ce que je laisse derrière moi. Quelques secondes passent, une éternité. Le vent s’engouffre dans mes cheveux, et je fais un pas en arrière. Puis un autre. Mes jambes vacillent, mais je ne flanche pas.

 

La porte s’ouvre enfin. Ton ombre apparaît dans l’encadrement. Je ne reste pas pour voir ta réaction. Je tourne les talons, le souffle brisé mais la tête haute. Derrière moi, le bébé attend. Il ne pleure pas. Il sait, lui aussi. Il te reconnaît.

 

Cette fois, c’est à toi de choisir. De tendre les bras ou de détourner le regard. De soigner ce bébé, de le nourrir, de le chérir, ou de l’abandonner à ton tour. Moi, j’ai fait tout ce que je pouvais. Ce n’est plus entre mes mains. Ce n’est plus à moi de réparer ce qui s’effondre.

 

Je sais que tu as toujours eu peur qu’on t’enlace trop fort, comme un enfant craintif qui redoute qu’un jeu devienne une étreinte dont il ne saurait se libérer. Tu as toujours gardé tes distances, esquivé les comptines trop douces, les berceuses trop sincères, de peur qu’elles ne t’endormissent dans un cocon dont tu ne saurais t’échapper.

 

Peut-être finiras-tu par prendre ce bébé contre toi, hésitant d’abord, comme on apprend à porter une vie fragile. Ou peut-être refermeras-tu la porte, laissant derrière toi ce petit être orphelin, sans même un dernier regard. Ce choix t’appartient.

 

Moi, je dois avancer, délaisser ce berceau. Il est temps.


Le berceau vide - Février 2025 par Emie Varentz

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